mardi 30 septembre 2014

De la culture de la Banane et de la Litterrature.


De la culture de la Banane et de la littérature.

 

Connaissez-vous la différence entre la culture de la banane et la littérature ?

Cherchez…

Cherchez encore…

Vous ne trouvez pas ?

C’est normal...  il n’y en a aucune !

Je vous devine sceptique.

Que je vous explique…

Vous me connaissez tous, je ne suis pas d’un naturel bougon, pourtant aujourd’hui, je vais pousser un coup de gueule.

Figurez-vous que voici quelque temps, au gré de mes pérégrinations, j’égarais mes pas dans une grande librairie dont je tairai le nom.

Le libraire m’ayant reconnu, il s’empressa de me demander les différents ouvrages que j’avais publiés, ce que je fis avec un certain plaisir (avouons-le sans fausse pudeur, il est toujours agréable, pour un auteur, qu’on le reconnaisse. Ceux qui vous diront le contraire sont des hypocrites).

 Mais à peine avais-je terminé qu’il me lança, à brûle pourpoint, sans préliminaires aucun, à sec, si j’ose dire :

« … Et vous en vivez ? Vous n’avez pas un vrai métier ? »

J’en suis resté sans voix (chose qui, ceux qui me connaissent peuvent en attester, est assez exceptionnel).

«  Vous n’avez pas un vrai métier ? »

Remettons les choses en perspective pour mieux comprendre le titre de ce post, mon assertion première et l’étrange similitude qui existe entre l’auteur de roman… et le producteur de bananes.

Mais revenons à notre libraire, qui me fixait tantôt avec un mélange de pitié et de mépris diffus.

Là, soudain, devant ce regard condescendant,  j’ai eu la très déplaisante impression de me retrouver dans la situation d’un petit producteur de bananes brésilien ou africain, qui, entrant chez un primeur français, et avisant les prix auxquels étaient vendus ses bananes, à l’autre bout de la chaîne, entendrait l’honnête commerçant  lui demander :

«    Et la banane tu en vis ? Ou tu fais un vrai métier en plus ? »

Cette question, et cette réflexion, je les ai entendues tant et tant de fois, jusque dans mes proches relations, que j’ai renoncé à en tenir le compte… Invariablement je me dis que je vais écrire ce post mais je l’avais jusqu’à présent repoussé.

Cette fois c’était la bonne.

« Vous en vivez ? »

Ces trois mots… Ces trois mots qui sous-tendent implicitement le fait que, comme pour la banane, dans la chaîne du livre, de l’éditeur à l’imprimeur, au diffuseur, aux distributeurs, commerciaux, attachés de presse, journalistes littéraires… (j’en oublie, ajoutez-les vous-même, comme disais Desproges, je ne sais pas faire les bouquets), tout un petit monde vit grâce au livre, tous sauf… celui qui est à la base de tout. Lui on lui demande s’il a : « Un vrai métier en plus »…

Un vrai métier…

Comme si écrire, du lever du soleil et souvent jusqu’à une heure fort avancée de la nuit, retravailler ses textes, ses intrigues, encore et encore, pour qu’elles emportent les lecteurs et les fassent voyager, assurer la promotion de ses livres, en salons, aux quatre coins de la France, auprès des médias, n’était pas un vrai métier…

Comme si faire oublier, le temps de quelques pages, la grisaille du quotidien à ses contemporains, leur donner le goût de la lecture pour les plus jeunes, les sensibiliser à certaines choses, les inviter à réfléchir, à notre monde, à l’humanité, à notre futur, que sais-je ? Les aider à se réaliser, à se découvrir ou se retrouver, ne valait rien ou était donné à tout le monde. Comme si tout cela était si facile, si futile et sans valeur, qu’on ne pouvait décemment espérer vivre avec.

C’est une passion voyons ! Pas un métier digne de ce nom ! Le vrai travail est forcément pénible, preuve en est qu’il dérive du mot latin tripalium  désignant un instrument de torture et signifie originellement, en ancien français « tourment ou souffrance » c’est tout dire.

Cela signifie donc qu’un métier que l’on fait par passion n’est pas un vrai métier, mais un simple hobby. On ne peut en aucun cas espérer en vivre. Pourtant, et c’est bien là le paradoxe, beaucoup de gens en vivent… sauf l’auteur lui-même.

Vous en vivez ?

C’est étrange, mais personne n’aurait l’idée de poser cette question à un grand scientifique qui mène, lui aussi, au bout du compte, du moins je l’espère, ses recherches par passion…

Alors oui, on me dira que les recherches des scientifiques auront des applications concrètes. Elles serviront à envoyer un homme sur Mars, ou bien soigner une maladie incurable, découvrir une nouvelle forme d’énergie qui changera le monde de demain, et c’est tout à fait vrai.

Mais nos histoires n’apportent-elles pas du rêve à des milliers de lecteurs, hommes, femmes et enfants ? Ne leur permettent-elles pas de s’évader, de mieux supporter un monde pas toujours rose ? De s’endormir le soir en embarquant un peu de merveille sous leurs paupières ? De se  remonter le moral quand tout va mal ? De patienter dans la salle d’attente du médecin ? De supporter les interminables trajets en métro, RER ou train ? De regarder le monde et les autres, soi-même, avec un regard différent ?  De changer, de se construire aussi. (Si je le dis c’est parce que j’ai conscience, moi-même, de m’être en partie construit par mes lectures).

 Non, je ne pense pas que cela soit aussi insignifiant que ça.

 Dans nos livres certains ont déjà voyagé sur Mars et bien plus loin encore, ou dans le futur, et peut-être un de ces voyageurs, après avoir visité d’autres mondes entre nos pages, pour réaliser son rêve d’enfant, mettra au point la fusée qui enverra les premiers hommes sur Mars…

Quant à croire que cela n’est pas un travail…

Dans une de ses rares interviews, Céline raconte qu’un sinistre inconnu, justement oublié, lui a un jour affirmé, avec un bel aplomb, en parlant de l’écriture :

« Pour vous c’est facile, vous avez un talent. »

« J’t’en foutrais du talent. » Aurait répondu Céline. « C’est du travail oui ! »

Oui, l’écriture est une passion, mais le fait de vivre de sa passion enlève-t-il pour autant la sueur de l’homme quand nous trimons sur une scène particulièrement retorse à se laisser décrire ? Quand, pour la dixième ou quinzième fois, nous achoppons sur le squelette d’une de nos histoires qui n’a pas encore la forme que nous souhaitons pour elle ? 

Oui, cela parait facile, quand on lit, insolent de facilité, même, parfois, mais c’est justement là tout le travail de l’auteur, ce travail qui doit, pour le lecteur, demeurer invisible.

Céline, dans la même interview, comparait très joliment un livre à une croisière.

 Le lecteur, quand il ouvre un livre, monte à bord d’un bateau. Ce qu’il attend, c’est que l’auteur l’embarque, l’amène en voyage, lui fasse oublier son quotidien, le fasse rire, frémir et pleurer… Et comme le passager d’un de ces superbes paquebots, qui va s’étourdir au casino ou dans la salle de bal, sur le pont croisière, il se fiche de savoir comment marchent les moteurs et comment le mécano les fait tourner ou les répare dans le cambouis,  la crasse et la sueur…

Pourtant, ce travail existe, c’est le nôtre, celui qui ne se voit pas, les centaines, les milliers d’heures que nous passons à peaufiner nos livres, à les retravailler, les couper, les rallonger, les distiller pour en tirer la quintessence de l’émotion, les rendre le plus parfaits possible afin d’emmener nos lecteurs en voyage.

«  Un vrai métier… »

Aurait-on eu l’idée de poser cette question à Victor Hugo, à Balzac (qui n’avait jamais un sous vaillant et louait des appartements avec deux issues pour pouvoir fuir les huissiers par derrière quand ils entraient par devant), à Stendhal ou à bien d’autres, plus récents ?

Alors oui, tous les libraires ne pensent fort heureusement pas comme celui-là. J’en connais beaucoup qui seraient scandalisés qu’on pose une telle question à un auteur, ma meilleure amie est d’ailleurs libraire, et ça ne lui viendrait pas à l’esprit…

Les libraires sont nos plus précieux soutiens, ceux qui conseillent nos livres et les font connaître auprès de leurs lecteurs qui sont aussi les nôtres. Sans eux, il n’y aurait plus d’auteurs, du moins, plus d’auteurs français, à part quelques best sellers. C’est bien pour ça que nous devons, en ces temps difficiles où le métier du livre évolue très vite, et pas toujours pour le meilleur, les soutenir à notre tour comme ils nous soutiennent…

Je sais aussi très bien, hélas, que cette idée que l’écriture, contrairement à la chanson, au théâtre, au cinéma, à la danse, où que sais-je encore, dans le domaine de l’art,  n’est pas un « vrai métier » est profondément ancrée dans beaucoup d’esprits. Que voulez-vous, il traîne, dans notre culture, l’idée qu’on ne doit pas prendre plaisir à son travail, qu’on doit souffrir pour mériter sa pitance, et donc qu’un travail/passion n’est pas un vrai travail.

Cette question en elle-même n’a rien de méchant et ce libraire, j’en suis convaincu, ne pensait pas à mal, mais c’est justement ce que révèlent ces mots, la banalité de l’idée qu’ils véhiculent, que je refuse ici.

« Un vrai métier… »

Oui, l’écriture est une passion, et oui, je continuerai d’écrire même si je n’étais pas payé pour ça, je continuerai d’écrire même si c’était interdit, au risque d’être condamné… Mais je le redemande : cela enlève-t-il quoi que ce soit à la valeur de notre travail ?

En tout cas maintenant, en ce qui me concerne, voilà ce que je répondrai si d’aventure on me pose une fois encore cette question avec ce regard condescendant que je commence à bien connaître :

« Oui, j’ai un vrai métier, celui de vous faire rêver, rire, pleurer, frémir, ressentir, réfléchir, celui de vous faire oublier vos soucis et vos misères, de vous croire, le temps d’un chapitre ou deux, un héros ou une héroïne de légende. Tout cela, je le fais avec mon stylo, ma feuille ou le clavier de mon ordinateur, c’est une forme de magie. En somme, tout bien considéré, et comme mes confrères, je suis une sorte d’ouvrier hyper qualifié, car ce que je fais, les histoires que j’écris, personne ne pourrait et ne pourra les écrire à ma place... »

Alors je serre la main à tous les petits producteurs de bananes du monde, et quant à moi, je vais reprendre mon stylo et mon clavier et me remettre à cultiver les miennes…

Et au fait, vous, c’est quoi votre vrai métier ?

Jean-Luc Marcastel                                                        Aurillac Le 29 septembre 2014

1 commentaire:

  1. C'est vexant, rageant, affligeant...Un libraire est sensé passer ses jours dans une antre de la culture, (ce qui ne fait pas de lui un être intelligent pour autant, mais le choix de ce métier recèle tout de même quelque chose de positif en ce sens, quoique... là apparemment lol) entendre de tels propos, les bras nous en tombent ! lol

    Jean-Luc, ne reste pas focalisé sur ces propos, mais tu fais bien d'en parler. Oui écrivain est un vrai métier à temps plein et les heures ne sont pas comptées !
    Bisous Jean-Luc, A bientôt !

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