De la culture de la Banane et de la
littérature.
Connaissez-vous la différence entre
la culture de la banane et la littérature ?
Cherchez…
Cherchez encore…
Vous ne trouvez pas ?
C’est normal... il n’y en a aucune !
Je
vous devine sceptique.
Que
je vous explique…
Vous
me connaissez tous, je ne suis pas d’un naturel bougon, pourtant aujourd’hui,
je vais pousser un coup de gueule.
Figurez-vous
que voici quelque temps, au gré de mes pérégrinations, j’égarais mes pas dans
une grande librairie dont je tairai le nom.
Le
libraire m’ayant reconnu, il s’empressa de me demander les différents ouvrages
que j’avais publiés, ce que je fis avec un certain plaisir (avouons-le sans fausse
pudeur, il est toujours agréable, pour un auteur, qu’on le reconnaisse. Ceux
qui vous diront le contraire sont des hypocrites).
Mais à peine avais-je terminé qu’il me lança,
à brûle pourpoint, sans préliminaires aucun, à sec, si j’ose dire :
« … Et vous en vivez ? Vous n’avez pas un
vrai métier ? »
J’en
suis resté sans voix (chose qui, ceux qui me connaissent peuvent en attester,
est assez exceptionnel).
«
Vous n’avez pas un vrai métier ? »
Remettons
les choses en perspective pour mieux comprendre le titre de ce post, mon
assertion première et l’étrange similitude qui existe entre l’auteur de roman… et
le producteur de bananes.
Mais
revenons à notre libraire, qui me fixait tantôt avec un mélange de pitié et de
mépris diffus.
Là,
soudain, devant ce regard condescendant, j’ai eu la très déplaisante
impression de me retrouver dans la situation d’un petit producteur de bananes
brésilien ou africain, qui, entrant chez un primeur français, et avisant les
prix auxquels étaient vendus ses bananes, à l’autre bout de la chaîne,
entendrait l’honnête commerçant lui
demander :
«
…
Et la banane tu en vis ? Ou tu fais un vrai métier en plus ? »
Cette
question, et cette réflexion, je les ai entendues tant et tant de fois, jusque
dans mes proches relations, que j’ai renoncé à en tenir le compte… Invariablement
je me dis que je vais écrire ce post mais je l’avais jusqu’à présent repoussé.
Cette
fois c’était la bonne.
« Vous en vivez ? »
Ces
trois mots… Ces trois mots qui sous-tendent implicitement le fait que, comme
pour la banane, dans la chaîne du livre, de l’éditeur à l’imprimeur, au diffuseur,
aux distributeurs, commerciaux, attachés de presse, journalistes littéraires… (j’en
oublie, ajoutez-les vous-même, comme disais Desproges, je ne sais pas faire les
bouquets), tout un petit monde vit grâce au livre, tous sauf… celui qui est à
la base de tout. Lui on lui demande s’il a : « Un vrai métier en plus »…
Un vrai métier…
Comme
si écrire, du lever du soleil et souvent jusqu’à une heure fort avancée de la
nuit, retravailler ses textes, ses intrigues, encore et encore, pour qu’elles
emportent les lecteurs et les fassent voyager, assurer la promotion de ses
livres, en salons, aux quatre coins de la France, auprès des médias, n’était
pas un vrai métier…
Comme
si faire oublier, le temps de quelques pages, la grisaille du quotidien à ses
contemporains, leur donner le goût de la lecture pour les plus jeunes, les
sensibiliser à certaines choses, les inviter à réfléchir, à notre monde, à
l’humanité, à notre futur, que sais-je ? Les aider à se réaliser, à se
découvrir ou se retrouver, ne valait rien ou était donné à tout le monde. Comme
si tout cela était si facile, si futile et sans valeur, qu’on ne pouvait
décemment espérer vivre avec.
C’est
une passion voyons ! Pas un métier digne de ce nom ! Le vrai travail
est forcément pénible, preuve en est qu’il dérive du mot latin tripalium désignant un instrument de torture et signifie
originellement, en ancien français « tourment
ou souffrance » c’est tout
dire.
Cela
signifie donc qu’un métier que l’on fait par passion n’est pas un vrai métier,
mais un simple hobby. On ne peut en aucun cas espérer en vivre. Pourtant, et
c’est bien là le paradoxe, beaucoup de gens en vivent… sauf l’auteur lui-même.
Vous en vivez ?
C’est
étrange, mais personne n’aurait l’idée de poser cette question à un grand
scientifique qui mène, lui aussi, au bout du compte, du moins je l’espère, ses
recherches par passion…
Alors
oui, on me dira que les recherches des scientifiques auront des applications
concrètes. Elles serviront à envoyer un homme sur Mars, ou bien soigner une
maladie incurable, découvrir une nouvelle forme d’énergie qui changera le monde
de demain, et c’est tout à fait vrai.
Mais
nos histoires n’apportent-elles pas du rêve à des milliers de lecteurs, hommes,
femmes et enfants ? Ne leur permettent-elles pas de s’évader, de mieux
supporter un monde pas toujours rose ? De s’endormir le soir en embarquant
un peu de merveille sous leurs paupières ? De se remonter le moral quand tout va mal ? De
patienter dans la salle d’attente du médecin ? De supporter les interminables
trajets en métro, RER ou train ? De regarder le monde et les autres,
soi-même, avec un regard différent ? De changer, de se construire aussi. (Si je le
dis c’est parce que j’ai conscience, moi-même, de m’être en partie construit
par mes lectures).
Non, je ne pense pas que cela soit aussi
insignifiant que ça.
Dans nos livres certains ont déjà voyagé sur
Mars et bien plus loin encore, ou dans le futur, et peut-être un de ces
voyageurs, après avoir visité d’autres mondes entre nos pages, pour réaliser
son rêve d’enfant, mettra au point la fusée qui enverra les premiers hommes sur
Mars…
Quant
à croire que cela n’est pas un travail…
Dans
une de ses rares interviews, Céline raconte qu’un sinistre inconnu, justement
oublié, lui a un jour affirmé, avec un bel aplomb, en parlant de l’écriture :
« Pour vous c’est facile, vous avez un talent. »
« J’t’en foutrais du talent. » Aurait
répondu Céline. « C’est du travail
oui ! »
Oui,
l’écriture est une passion, mais le fait de vivre de sa passion enlève-t-il pour
autant la sueur de l’homme quand nous trimons sur une scène particulièrement
retorse à se laisser décrire ? Quand, pour la dixième ou quinzième fois,
nous achoppons sur le squelette d’une de nos histoires qui n’a pas encore la
forme que nous souhaitons pour elle ?
Oui,
cela parait facile, quand on lit, insolent de facilité, même, parfois, mais
c’est justement là tout le travail de l’auteur, ce travail qui doit, pour le lecteur,
demeurer invisible.
Céline,
dans la même interview, comparait très joliment un livre à une croisière.
Le lecteur, quand il ouvre un livre, monte à
bord d’un bateau. Ce qu’il attend, c’est que l’auteur l’embarque, l’amène en
voyage, lui fasse oublier son quotidien, le fasse rire, frémir et pleurer… Et
comme le passager d’un de ces superbes paquebots, qui va s’étourdir au casino
ou dans la salle de bal, sur le pont croisière, il se fiche de savoir comment
marchent les moteurs et comment le mécano les fait tourner ou les répare dans
le cambouis, la crasse et la sueur…
Pourtant,
ce travail existe, c’est le nôtre, celui qui ne se voit pas, les centaines, les
milliers d’heures que nous passons à peaufiner nos livres, à les retravailler, les
couper, les rallonger, les distiller pour en tirer la quintessence de
l’émotion, les rendre le plus parfaits possible afin d’emmener nos lecteurs en
voyage.
« Un vrai métier… »
Aurait-on
eu l’idée de poser cette question à Victor Hugo, à Balzac (qui n’avait jamais
un sous vaillant et louait des appartements avec deux issues pour pouvoir fuir
les huissiers par derrière quand ils entraient par devant), à Stendhal ou à bien
d’autres, plus récents ?
Alors
oui, tous les libraires ne pensent fort heureusement pas comme celui-là. J’en
connais beaucoup qui seraient scandalisés qu’on pose une telle question à un
auteur, ma meilleure amie est d’ailleurs libraire, et ça ne lui viendrait pas à
l’esprit…
Les
libraires sont nos plus précieux soutiens, ceux qui conseillent nos livres et
les font connaître auprès de leurs lecteurs qui sont aussi les nôtres. Sans
eux, il n’y aurait plus d’auteurs, du moins, plus d’auteurs français, à part
quelques best sellers. C’est bien pour ça que nous devons, en ces temps difficiles
où le métier du livre évolue très vite, et pas toujours pour le meilleur, les soutenir
à notre tour comme ils nous soutiennent…
Je
sais aussi très bien, hélas, que cette idée que l’écriture, contrairement à la
chanson, au théâtre, au cinéma, à la danse, où que sais-je encore, dans le
domaine de l’art, n’est pas un « vrai
métier » est profondément ancrée dans beaucoup d’esprits. Que voulez-vous,
il traîne, dans notre culture, l’idée qu’on ne doit pas prendre plaisir à son
travail, qu’on doit souffrir pour mériter sa pitance, et donc qu’un travail/passion
n’est pas un vrai travail.
Cette
question en elle-même n’a rien de méchant et ce libraire, j’en suis convaincu,
ne pensait pas à mal, mais c’est justement ce que révèlent ces mots, la
banalité de l’idée qu’ils véhiculent, que je refuse ici.
« Un vrai métier… »
Oui,
l’écriture est une passion, et oui, je continuerai d’écrire même si je n’étais
pas payé pour ça, je continuerai d’écrire même si c’était interdit, au risque
d’être condamné… Mais je le redemande : cela enlève-t-il quoi que ce soit
à la valeur de notre travail ?
En
tout cas maintenant, en ce qui me concerne, voilà ce que je répondrai si d’aventure
on me pose une fois encore cette question avec ce regard condescendant que je
commence à bien connaître :
« Oui, j’ai un vrai métier, celui de vous
faire rêver, rire, pleurer, frémir, ressentir, réfléchir, celui de vous faire
oublier vos soucis et vos misères, de vous croire, le temps d’un chapitre ou
deux, un héros ou une héroïne de légende. Tout cela, je le fais avec mon stylo,
ma feuille ou le clavier de mon ordinateur, c’est une forme de magie. En somme,
tout bien considéré, et comme mes confrères, je suis une sorte d’ouvrier hyper
qualifié, car ce que je fais, les histoires que j’écris, personne ne pourrait
et ne pourra les écrire à ma place... »
Alors
je serre la main à tous les petits producteurs de bananes du monde, et quant à moi,
je vais reprendre mon stylo et mon clavier et me remettre à cultiver les
miennes…
Et
au fait, vous, c’est quoi votre vrai métier ?
Jean-Luc
Marcastel Aurillac
Le 29 septembre 2014
C'est vexant, rageant, affligeant...Un libraire est sensé passer ses jours dans une antre de la culture, (ce qui ne fait pas de lui un être intelligent pour autant, mais le choix de ce métier recèle tout de même quelque chose de positif en ce sens, quoique... là apparemment lol) entendre de tels propos, les bras nous en tombent ! lol
RépondreSupprimerJean-Luc, ne reste pas focalisé sur ces propos, mais tu fais bien d'en parler. Oui écrivain est un vrai métier à temps plein et les heures ne sont pas comptées !
Bisous Jean-Luc, A bientôt !